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Commentaire de l'arrêt de la Cour d'Appel Administrative de Versailles du 3 décembre 2007
Les faits
Le Directeur d’une maison de retraite licencie le Dr Y lui reprochant de faire rédiger, depuis plusieurs années, les renouvellements de prescriptions médicales à l'attention des résidents de l'établissement par le personnel infirmier, en violation notamment de l'article 76 du code de déontologie médicale, même s'il signait ensuite ces prescriptions, et d'avoir persisté dans ce comportement malgré les avertissements qui lui ont été adressés.
Le Dr Y demande l’annulation de la décision de licenciement, sa réintégration ou a défaut la condamnation de la Maison de Retraite à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi de cette décision. Le Tribunal Administratif le déboute de sa requête en première instance. Le Dr Y. fait appel.
Les arguments du Dr Y.
Le Dr Y soutient que l’employeur a fait une lecture erronée de l’article 76 du code de déontologie, en confondant la prescription et l’acte matériel d’écriture de l’ordonnance. Il soutient que cette opération aurait pu être déléguée par une secrétaire médicale. Il avance par ailleurs que l’article 76 du code de déontologie médicale n’impose pas au médecin de rédiger, de manière manuscrite, le corps du document médical, que seule la signature du médecin doit être manuscrite et qu’en l’espèce il signait bien toutes les ordonnances. Il met en avant, par ailleurs, que cette pratique était connue depuis des années, qu’il n’y a jamais eu un seul incident consécutif à cette pratique. Il considère donc le licenciement comme abusif.
La décision de la CAA
La Cour rappelle :
- aux termes de l’article 76 du code de déontologie médicale en vigueur à la date de la décision attaquée : « l'exercice de la médecine comporte normalement l'établissement par le médecin, conformément aux constatations médicales qu'il est en mesure de faire, des certificats, attestations et documents dont la production est prescrite par les textes législatifs et réglementaires. Tout certificat, ordonnance, attestation ou document délivré par un médecin doit être rédigé lisiblement en langue française et daté, permettre l'identification du praticien dont il émane et être signé par lui. Le médecin peut en remettre une traduction au patient dans la langue de celui-ci »
- aux termes de l'article 6 du décret n°2002-194 du 11 février 2002 applicable au moment des faits : «Outre les actes et activités visés aux articles 11 et 12, l'infirmier est habilité à pratiquer les actes suivants soit en application d'une prescription médicale qui, sauf urgence, est écrite, qualitative et quantitative, datée et signée, soit en application d'un protocole écrit, qualitatif et quantitatif, préalablement établi, daté et signé par un médecin : (…) Administration des médicaments (…) »
- aux termes de l'article 29 du décret n° 93-221 du 16 février 1993 relatif aux règles professionnelles des infirmiers et infirmières « déontologie » également applicable à la date de la décision attaquée : « L'infirmier ou l'infirmière applique et respecte la prescription médicale écrite, datée et signée par le médecin prescripteur (…).
Il ressort que :
- le Dr Y. a enjoint au personnel infirmier de rédiger des projets de renouvellement de prescriptions médicales destinées aux résidents de la maison de retraite avant de les signer après les avoir éventuellement corrigés; qu'il a ainsi méconnu les dispositions précitées du décret n° 2002-194 du 11 février 2002 et n° 93-221 du 16 février 1993 dont il résulte qu'il n'entre pas dans les compétences des infirmiers et infirmières de rédiger des projets d'ordonnances portant renouvellement de prescriptions, quand bien même seraient-elles ultérieurement signées par un médecin;
- qu'en dépit de multiples rappels à l'ordre sur ce point, émanant tant de la direction de l'établissement que du médecin inspecteur de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, le Dr Y. a refusé de modifier son comportement,
- qu’il s’agissait d’une faute grave justifiant un licenciement.
Dès lors, la décision attaquée n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation. La CAA rejette les conclusions du Dr Y. et confirme la décision du TA qui a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de la décision de licenciement.
COMMENTAIRES
Si la Cour d’Appel Administrative rappelle expressément que tout document délivré par un médecin doit permettre l’identification du praticien dont il émane et être signé par lui, elle n’indique nullement que cette signature doit être manuscrite. Un positionnement qui se comprend à l’heure de l’informatisation du dossier médical et de la validation de la signature électronique comme preuve écrite (sur ce sujet nous vous renvoyons à la lecture de notre article « Documents médicaux : signature manuscrite ou signature électronique »).
Ce que la Cour d'Appel Administrative condamne ici c’est le fait pour le praticien d’avoir fait rédiger par des infirmières des projets de prescriptions médicales, alors que de tels actes n’entrent manifestement pas dans leurs compétences … pas plus d’ailleurs que dans celles d’une secrétaire médicale, comme le soutenait le Dr Y. Cette dernière ne peut en effet élaborer, sur sa seule initiative, un projet de documents médicaux. Sa fonction, en la matière, se résume à reproduire, à partir d’éléments écrits (notes) ou sonores (cassettes), les informations transmises par le praticien.